Nous traversons le pont et les 100 mètres qui nous sépare du poste frontière équatorien. Aucune paperasse à remplir, 10 minutes de queue seulement, un coup de tampon. « Bienvenido en Ecuador » entonne l’agent avec le sourire. On peut dire que les Equatoriens savent recevoir. Quelques km de taxi collectifs pour arriver à Tulcan, la première ville après la frontière. On arrive au guichet du terminal de bus, achat des tickets, et on attrape le bus déjà en train de partir.


Le bus nous dépose le long de la Panaméricaine nord au bord du village Quechua d’Iluman. Jose et sa petite famille nous accueille avec enthousiasme. Ils se mettaient en route pour la fête du solstice d’été . Ils nous proposent de les accompagner. Un peu de folklore pour débuter c’est parfait. Une sympathique ambiance de kermesse règne. Les gens mangent, boivent, discutent, dansent. Des poules sont attachées sur des barres en bois posées sur le sol. Deux poutres en bois reliées par un fil sont installées au centre. Ça sent le sacrifice. Un nouveau groupe de musique monte sur scène, apparemment pour la danse préparatoire au sacrifice. Les gens se rapprochent et dansent de plus belle. Mais la sono plante au bout de quelques minutes. L’ambiance redescend. C’est l’attente. On commence à suspendre quelques poules sur le fil central. Une heure d’attente, la sono est enfin réparée. Une famille est appelée. Par deux ils dansent autour des poules suspendues têtes en bas, tout en portant sur leur épaule une barre en bois sur lesquelles sont attachées d’autres poules. Ils tournent encore et encore. Puis un autre groupe d’hommes est appelé au centre. Une autre musique, ils tournent toujours. Seuls les hommes les plus alcoolisés et les adultes un peu attardés sont de la partie (les dégâts de la consanguinité). Ça dure, ça dure. Le reste du village observe. Ça y est, un premier attrape le cou d’une poule et tire dessus. Contrairement à ce qu’on avait supposé il ne s’agit pas d’égorger les poules mais de leur arracher la tête à mains nus. Ils doivent s’y reprendre à plusieurs reprises. L’ambiance est vraiment particulière. Tout le monde regarde en quasi silence ces hommes très éméchés dévisser ces têtes et danser avec. José et sa femme trouvent également ça un peu fou. Nous ne restons pas jusqu’au bout. Nous partons dès le lendemain matin pour Mindo. Un village réputé pour son jardin de papillon, l’observation des oiseaux, le café et surtout la fabrique de chocolat bio El Quetzal. La seule chose qui nous intéresse vraiment. La variété cultivée en Equateur est le « Nacional », réputée comme la meilleure au monde, et surnommé « pepa de oro ». L’appellation est protégée et fait la fierté des Equatoriens. Nous dégustons d’abord la fève de cacao à l’état de fruit. Plutôt bon. On nous explique ensuite tout le processus pendant près d’une heure, blablabla. Enfin la dégustation ! Nous testons plusieurs mélanges avec toujours le même rituel. De la pâte 100% cacao, un peu de sucre puis un ingrédient différent à chaque fois : chili, gingembre, miel, café et noix de macadamia. Nous goûtons même un thé issu de l’écorce de la fève de cacao. Rien ne se perd. On finit par un petit brownie. Délicieux !


Nous nous dirigeons dès le lendemain pour la capitale, Quito, situé juste après l’équateur. Ça y est nous sommes dans l’hémisphère sud. Autre particularité, la capitale politique culmine à près de 3 000 mètres ce qui entraîne de fortes variations de température dans la journée. On débute par un premier tour dans le centre historique, plus agréable que sa consœur Bogota.


Le lendemain matin nous poursuivons avec la visite guidée, en espagnole, mais gratuite, du palais présidentiel. L’Equateur vient tout juste de changer de président. Lenin Moreno (ancien vice-président) a remplacé, début juin, Rafael Correa parti vivre en Belgique (sa femme est belge). La première salle qui expose toutes les Constitutions adoptées depuis 1820, date de l’indépendance de l’Equateur, résume à elle seule l’instabilité politique qui y a régné tout au long de sa courte histoire. Ceci explique les difficultés économiques du pays qui pourtant possède beaucoup d’atouts : hydrocarbures (membre de l’OPEP), cacao, positionnement géographique, climat… Comme ses voisins, l’apprentissage de la démocratie a été chaotique.  Périodes de démocratie et de dictature se succèdent jusqu’en 2007 et l’arrivée au pouvoir de Rafael Correa. Une stabilité qui coïncide avec une forte croissance depuis dix ans pour le plus petit pays d’Amérique du sud et ses 16 millions d’habitants.


Nous partons à la découverte du Cotopaxi. Le plus haut volcan en activité du pays. Suite à une éruption en 2015, il n’est plus permis de le gravir jusqu’à son sommet 5 897 mètres. L’entrée au parc national qui l’abrite ne peut se faire sans guide. A la descente du bus en plein milieu de l’autoroute, nous rencontrons Eva, une Barcelonaise. Une chance, elle va mener les négociations en espagnol pour nous et deux autres jeunes françaises Léa et Charline qui attendaient de nouveaux arrivants pour faire diminuer le prix du guide. Après plusieurs minutes de négociations nous prenons la route tous les cinq avec notre guide. Après 30km de route dans le parc national, nous stationnons. Pour atteindre le refuge, point le plus haut encore accessible à 4 864 mètres, il faut finir par près d’un km à pieds. Vent de face, température proche de 0°C, première expérience en haute altitude, un sol qui se dérobe, c’est vraiment difficile. Après 30-45 minutes d’efforts nous atteignons le refuge.

Malheureusement le temps est trop couvert pour apercevoir le glacier. 30 minutes de pause bien méritée à l’abri pour reprendre notre souffle. La descente est facile. Nous reprenons le véhicule, un dernier stop pour « admirer » un semblant de lagune un peu plus bas. Coup de chance, le temps se dégage, nous pouvons enfin admirer le glacier du Cotopaxi.


Nous poursuivons avec la montagne pour les quatre jours suivants. Première étape, la boucle de la lagune du Quilotoa. La lagune s’est formée dans le cratère du volcan inactif. Le bus nous dépose au niveau de la lagune. Elle est là, d’un bleu vif, presque pas de nuages, c’est un spectacle incroyable. On pourrait presque s’en contenter. Mais nous sommes de vrais aventuriers. Nous nous engageons donc dans cette randonnée de 12 km tout autour de la lagune. Le parcours est difficile, montée, descente, c’est presque de l’escalade par moment. Nous oscillons entre 3 600 et 3 900m, le vent s’engouffre par rafale, on a froid, puis il disparaît, on a chaud. 4h30 d’efforts. Dîner à l’hôtel à 19h30. 21h on dort.


Le poêle et les deux couvertures polaires n’ont pas été de trop pour dormir. Nous prenons notre temps avant de reprendre la route pour cette 2ème journée de randonnée, a priori plus facile avec 11km annoncé pour atteindre le village de Chugchillan. Nous reprenons pour commencer une partie du chemin de la veille avant d’entamer la descente du Quilotoa, pas toujours très bien balisée. Après un passage dans la vallée nous profitons d’un splendide point de vue pour pique-niquer. Sandwichs au thon, il y avait une promo au supermarché. Nous apercevons le village d‘arrivée. Il faut descendre encore plus bas dans la vallée avant de remonter. Arrivées au niveau du cours d’eau après un passage étroit entre deux montagnes où les éboulements semblent monnaie courante, plus de trace de balises pour guider notre chemin. On tâtonne. Plus difficile d’en bas d’évaluer la bonne direction. On doit escalader un flanc de montagne pour revenir sur le chemin. On se retrouve au milieu de champs, des chiens pas très amicaux nous y attendent. On s’est clairement éloigné. Nous finissons par retrouver la route principale qui mène au village. Un dernier km très pentu conclut ces 5h30 de marche.


Après avoir traversé la place principale où les habitants jouent au volley-ball, malgré leur taille réduite, nous trouvons un très sympathique hôtel décoré avec goût. Comme la veille le prix de la chambre comprend le dîner et le petit déjeuner. 19h30 la cloche sonne. On nous installe à la même table que deux retraitées américaines de Seattle. L’une d’elle est une ancienne professeure de français et voyage en France un mois tous les ans. Elle connaît très certainement mieux le pays que nous. L’autre, ancienne prof aussi est ravi de se retrouver avec nous et de pouvoir enfin parler en anglais. Son niveau d’espagnol est encore pire que le nôtre. Le repas est très bon, la discussion sympathique même si gentiment la plus américaine des deux traite les Français de socialistes, quand on lui apprend que le système de santé est quasi gratuit en France. Elles nous apprennent que l’Equateur attire de plus en plus de retraités américains. Certainement pas elles, le pays est trop pauvre.


10h, départ pour cette 3ème journée de randonnée avec 15km annoncé au programme. Encore une fois, le chemin n’est pas spécialement bien balisé, on ne prend sûrement pas le chemin le plus court. Nous tombons souvent sur des petits chiens très énervés. Heureusement les vaches sont plus tranquilles. Après 5h45, et quelques erreurs de trajets nous arrivons à Insilivi, minuscule village, une rue principale et c’est tout. Nous retrouvons à l’hôtel Léa et Charline du Cotopaxi. Elles font le parcours dans l’autre sens. Nous ne sommes que tous les quatre dans un hôtel familial. Un lama, Serge ou Bernard comme vous voudrez, et une vache naine domestique attachés dans le jardin servent d’attraction.


La dernière étape, 12km sur des routes poussiéreuses nous conduit à la « grande » ville la plus proche. On accélère donc le rythme. Trois heures nous suffisent pour l’atteindre. De là nous prenons un bus pour retourner à Guaytacama, près du Cotopaxi là où nous avions laissé nos gros sacs (pas fous !). 


Ayant bien profité de la fraîcheur montagnarde, nous repartons pour la plaine et l’est du pays, juste à l’entrée de l’Amazonie. Puyo, à ses portes, est une ville moyenne. Nous devons partir le lendemain pour vivre 48h dans une communauté amazonienne. En attendant nous faisons le tour de la ville. Aucun autre touriste en vue, et pourtant des hôtels à tous les coins de rue. Développement touristique en vue, bulle immobilière, blanchiment d’argent… ?


Le chef de famille, Carlos, doit nous rejoindre le matin à la gare routière. 10h du matin toujours pas de réponse quant à l’heure du rendez-vous. Nous décidons de nous rendre sur place par nos propres moyens. Par chance nous le croisons à la gare routière. Il n’a pas de voiture. Après quelques emplettes pour nous nourrir, nous prenons donc un taxi pour nous rendre chez lui. A quelques encablures de son village on croise sur la route un serpent noir qui traverse. Ambiance. Nous arrivons. Sa fille, Nina Sarah, amène la pirogue pour nous permettre de traverser la rivière. La partie réservée aux touristes est plutôt cosy. Pas d’électricité, mais de vraies toilettes. Carlos qui ne parle pas vraiment anglais veut nous faire travailler notre espagnol. Il nous assaillit d’histoires. D’origine shuar (les gens sont en majorité quechua dans la région), Carlos, 56 ans, 18 enfants dont 14 encore vivants, 39 petits-enfants et 2 arrières petits-enfants, se décrit comme une sorte de chaman. Il a à son actif 51 accouchements. Après le déjeuner nous débutons par une promenade dans la forêt secondaire à la découverte de certaines plantes médicinales. On retient qu’on peut presque tout soigner avec, même les tumeurs. S’il détient 30 hectares, avec énormément de bananiers, sa famille ne vit pas de l’agriculture. Les coûts logistiques sont trop importants. Ils ne vivent donc que du tourisme. Après de mauvaises expériences de vie en communauté dans sa jeunesse, il a décidé de créer sa propre communauté : une immense famille. Mais chacun conserve son intimité, chaque maison est éloignée de 100 mètres environ des autres.


Le deuxième jour nous pénétrons dans la forêt primaire, beaucoup plus dense et non exploitée par les Hommes. Nous ne faisons aucune mauvaise rencontre, surtout des insectes. Les jaguars se sont enfoncés encore plus loin dans la jungle. Sa fille nous attend après nos 3 heures de marche. Nous faisons le retour en pirogue, ses deux chiens Capitano et Guardiano en sont interdits et doivent faire le chemin à la nage. Carlos continue à nous conter son histoire, ses expériences avec les plantes hallucinogènes comme l’ayahuasca ou encore la disparition douloureuse de son épouse il y a quatre ans. Après déjeuner nous nous essayons à la sarbacane. Pas si difficile. Notre séjour dans la famille de Carlos touche à sa fin. Je crois que nous sommes prêts si un jour nous devions survivre en Amazonie.


Retour à la civilisation un peu brutal dans la petite ville très visitée de Baños. Beaucoup de touristes, d’hôtels, de restaurants, de karaoké et de pubs colonisent la ville. Mais bon, nous sommes entourés de volcans, le panorama est toujours aussi somptueux. On se dirige donc sur la route du plus haut de la région, le Tungurahua (5 023m), La montée pour l’observer n’est que de 4km. Easy ! Pas du tout, d’abord quelques centaines de marches abruptes dans le vent, puis un sentier ultra pentu à l’abri du vent. La température monte rapidement. Un calvaire. Tout ça pour arriver finalement juste en bas des nuages et ne rien voir. On ne gagne pas à tous les coups.


Après deux jours à Baños, nous quittons les volcans pour le sud et Guayaquil, la plus grande ville du pays et capitale économique. Zone d’export du cacao depuis le 19ème, la ville est très moderne et très riche dans sa périphérie, et sale voire dangereuse dans le centre.

Nous reprenons donc la route dès le lendemain matin pour la côte Pacifique et la petite cité balnéaire de Puerto Lopez, point de départ pour découvrir la « Isla de la Plata », renommée « les Galapagos des pauvres ». Le départ est programmé pour 9h, le lendemain matin. Sous la brume, très présente à cette saison, nous montons dans un bateau avec une quinzaine de comparses touristes. Pendant les 45 minutes de traversée nous croisons plusieurs groupes de baleines. Les passagers, dans la cinquantaine pour la plupart, s’extasient comme des enfants. Je reste de marbre. Au moment de sortir du bateau, tortues de mer et pélicans nous attendent. Sur l’île, nous jouons aux ornithologues en herbe. Nous observons des Fous à pieds bleus, des Moqueurs et des Frégates. Après ces trois heures sur l’île, Sarah très courageuse poursuit avec du snorkeling. La mer un peu trouble et plutôt fraîche ne se prête pas vraiment à l’exercice. Sur le retour, encore des baleines, je demeure de marbre.


Nous reprenons la route des montagnes et la direction de Cuenca, la troisième ville du pays. La malédiction des villes classée au patrimoine mondial par l’UNESCO est rompue. Enfin une ville qui n’a pas perdu son âme. S’y promener est un vrai plaisir. Sarah termine en beauté notre séjour en Equateur par un saut en parapente. Je passe mon tour une nouvelle fois. Pour rejoindre le Pérou nous renouons avec le bus de nuit, youpi !