Nous arrivons en fin de journée à Dien Bien Phu, lieu de perdition de l’armée française le 7 mai 1954. Ultime bataille qui mit fin à près de 100 ans de présence française dans la région. Une horde de rabatteurs rentre par les fenêtres de notre petit bus et entrave notre entrée dans la gare routière. Ils distribuent des cartes de visite de leur compagnie respective de car. C’est la cacophonie ! Des débuts en fanfare, loin du calme thaïlandais. Le concert des klaxons dans la rue fini de nous convaincre que nous avons bien changé de pays et de culture. Ici, le klaxon remplace les clignotants et les rétroviseurs. Un petit aperçu de ce que peuvent être les grandes villes du pays. 80 millions d’habitants et autant de motos et scooters peuplent le Vietnam. Dien Bien Phu, ville de 125 000 habitants, présente au premier abord une « occidentalisation » plus poussée que ses consœurs thaïlandaises. En revanche, le caractère autoritaire du régime politique et la figure très présente d’Ho Chi Minh, le libérateur, pourtant décédé en 1969, rappelle la Thaïlande voire le Laos. Les drapeaux nationaux flottent également souvent sur le devant des façades des habitations. Le modèle de développement, très rapide, suit celui de la Chine. Moins porté sur le tourisme que la Thaïlande, le Vietnam, axe sa croissance sur ses exportations. Loin d’être un

vassal de la Chine, le Vietnam s’érige plutôt comme un concurrent, en particulier dans le textile. Idéalement situé, bordé de tout son long par la mer, le Vietnam fait le lien entre l’Asie du sud-est et les deux autres grandes économies de la région que sont le Japon et la Corée du sud. Et comme pour la Chine, le modèle à parti unique permet une croissance à marche forcée très efficace.


Revenons à Dien Bien Phu, ville de passage pour les touristes occidentaux vers le nord du pays et la Chine ou Hanoï. En revanche, la ville constitue un passage obligé pour les locaux. Colline A1, Cimetière des anciens combattants, Musée de la Victoire rappellent la grandeur du peuple vietnamien qui s’est soulevé face à l’envahisseur français. La ville n’a sinon, en effet, pas grand-chose à offrir même si les paysages autour ne manquent pas de charme.


Motivés comme jamais nous nous dirigeons vers le nord et la région de Sapa, censée nous offrir les plus beaux paysages du pays, avec notamment ses célèbres rizières en escalier. Même si la météo reste très aléatoire à cette saison, ça devrait aller d’après weather.com. Nous montons à 18h dans notre « sleeping bus », une première pour nous deux. Onze heures de route annoncées pour parcourir tout juste 300 km. Il faut dire que la route présente une typographie plutôt escarpée. Certains commentaires sur internet ne sont pas forcément rassurants. Nous avons confiance. Niveau confort, nous sommes donc couchés. Les sièges en cuir, couleur rouge vif, sont confortables, mais l’espace pour nos jambes demeure réduit.


Il faut dire qu’ils mesurent tous 1,2 m dans ce pays. Ce qui vaudra à Sarah quelques scènes cocasses avec des Vietnamiens et/ou Chinois - parfois nous avons quelques difficultés à les différencier – très amusés de se mesurer à côté d’elle. Au plafond, des ampoules leds fluorescentes multicolores complètent le style très kitsch du bus. Installés ou plutôt donc allongés nous sommes fins prêts. Le bus affiche plus que complet. Le chauffeur et son acolyte entasse de jeunes vietnamiens à l’arrière. Quatre pour six places. Tout juste sortie de la gare routière, une dizaine de paysans entre et est parquée dans l’allée centrale. Ils s’assoient ou se couchent à même le sol. Une façon pour nos deux amis d’arrondir leur fin de mois en encaissant directement l’argent. C’est parti ! Le chauffeur allume la TV. Clips musicaux locaux, version karaoke, à tue-tête, pour rester éveiller d’après ce qu’on avait lu sur internet. Le jeune russe allongé près de nous de l’autre côté de l’allée n’apprécie pas franchement ce folklore. Il veut dormir. Il obtient gain de cause. Le chauffeur baisse le son. Difficile néanmoins de s’endormir pour ma part. Les nombreux virages nous secouent et plongé dans le noir ce n’est pas très rassurant. Sarah s’endort. Heureusement pour moi la technologie existe. Je suis sur mon smartphone les résultats de foot du soir et attends 3h du matin pour visionner le match de l’OM. Même dans les montagnes vietnamiennes, la 3G ne fonctionne pas trop mal. Marseille bat Guingamp 2-0. Le voyage passe finalement assez vite. 5h, le bus nous dépose à Sapa. Et là c’est la douche froide. Une température de 5°C et une pluie fine nous accueillent. Une première depuis notre départ ! Vu l’heure nous devons aussi patienter avant de partir à la chasse d’une guesthouse. Nous trouvons refuge dans un restaurant nocturne qui ne sert que des « pho ». Petit coup d’œil à la météo pour les prochains jours. Et là patatras. 10°C en journée et un temps breton, ou belge, annoncé. Que fait-on ? 7h, nous repartons pour la gare routière. 7h30, nous montons dans un autre sleeping bus pour cinq heures de route en direction de la capitale Hanoï. Mauvais temps prohibé !


Enfin nous pouvons poser nos sacs. Hanoï, capitale du pays et ville de 7,6 millions d’habitants dont près de 3 millions intramuros, a conservé son architecture coloniale qui lui confère un style plutôt chic. Au niveau gastronomie, la France a aussi laissé des traces. La baguette, « banh mi », se retrouve à tous les carrefours. Les vendeurs ambulants la proposent sous forme de sandwiches aux œufs au plat, au pâté ou à la Vache qui rit. Le célèbre « Pho vietnamien » constitue également un héritage français. Il s’agit d’une version vietnamienne du pot au feu français imaginée pour répondre aux envies de bœuf des Français.


Le temps nuageux, mais agréable, autour de 20°C - c’est le début du printemps dans le nord du Vietnam - nous permet de multiplier les kilomètres pour visiter la ville de long en large. Malheureusement, nous n’avons pu voir à notre grand dam le mausolée d’Ho Chi Minh, où repose sa dépouille momifiée. Monsieur se refait une petite beauté une fois l’an chez l’ami russe pour être présentable face aux fidèles. Même si nous apprécions l’animation constante de la ville, le trafic impressionnant des deux roues polluent l’air.


Nous hésitons à nous équiper de masques hygiéniques. Finalement, nous ne franchirons pas le pas. Curieusement, nous prenons également plaisir à flâner dans les centres commerciaux et supermarchés de la ville. Le manque de certains produits commencerait-il à se faire sentir Peut-être. Ceux-ci, neufs et modernes ressemblent beaucoup aux centres européens, sinon qu’ils sont quasi dépeuplés. Au-delà d’un problème de pouvoir d’achat pour les boutiques de vêtements, les supermarchés logés dans les centres commerciaux ne font pas recette. Adeptes du deux roues, les Vietnamiens boudent ceux-ci. Très habiles, ils préfèrent faire leurs emplettes au fur et à mesure de leur parcours en s’arrêtant sur le bord de la route. A bon entendeur je crois que le concept de drive en ville cartonnerait dans les principales villes vietnamiennes.


Après quatre jours passés dans la capitale nous prenons la route de la côte, vers Haiphong, principal port marchand du pays, et véritable plaque tournante du commerce extérieur. Nous optons, pour le train et sa catégorie « hard seat », soit des bancs en bois. Les trains vietnamiens sont ponctuels et en bien meilleur état que leurs homologues thaïlandais. Pour ce qui est de la vitesse, pas de grand

changement, 50-60 km/h de moyenne.


Nous parvenons enfin à nous faire héberger par des locaux. Deux nuits chez Tung et sa petite famille (son épouse, ses deux fillettes et la belle-mère). Tung travaille pour une agence nationale comme vétérinaire. Il s’occupe notamment de surveiller les importations de

marchandises animales. Il a étudié deux ans au Japon grâce à une bourse gouvernementale. En contrepartie il doit travailler au minium cinq ans dans son pays. Un handicap pour lui, car il aurait aimé partir travailler à l’étranger. Son anglais est sûrement meilleur que le nôtre mais son accent, waouh ! Il nous faut nous accrocher par moment. Comme en France, ils n’ont pas de professeurs d’origine anglophone pour l’apprentissage. Pourtant, ici, apprendre l’anglais est devenu une priorité nationale. Cela débute dès le jardin d’enfant. Nous le vérifierons tout au long de notre séjour où les « Hello » des enfants nous accompagnent à chaque passage. Même des étudiants et des adultes nous accosteront dans la rue ou dans les cafés pour simplement discuter en anglais.  Nous partagerons deux repas avec la famille de Tung, très heureuse de nous recevoir et de partager ces moments-là. Nous nous proposons pour le second soir de préparer un tartare de saumon et de manger des huîtres à la française. Seul Tung osera manger une huître crue. Ils nous ont vraiment pris pour des fous. Incroyable dans un pays où on mange notamment du chien et d’autres bizarreries.


Ravis, nous partons vers l’île voisine de Cat Ba, située à proximité de la baie d’Along. Plutôt sauvage, seule une petite partie de l’île fait office de zone réservée aux touristes, elle est très prisée par les Vietnamiens aux beaux jours. Au programme de nos deux journées sur place : parc naturel avec un sommet à 1 000 mètres d’altitude, immenses bunkers construits et aménagés pendant la guerre du Vietnam, et surtout balade en bateau au milieu de la baie.

Après plus d’un mois je pensais mon estomac paré à tout épreuve. Malheureusement, le matin où nous devons partir en excursion pour la baie, je sens dès le réveil que le repas du soir n’est pas passé (riz poêlé aux fruits de mer). Putain de crevette ! Mon état s’empire au fur et à mesure de la journée et ne me permet pas de profiter

pleinement des paysages grandioses. Le kayak au milieu des rochers se transforme en calvaire. Je suis incapable de pagayer, laissant Sarah seule aux manettes. Les odeurs du repas servi le midi à bord n’arrange pas les choses. J’essaye de dormir, mais difficile sur des bancs en bois peu confortables. Un arrêt sur Monkey Island clôt la balade. Je reste prostré sur la plage en attendant que les passagers gravissent une petite colline. Enfin la libération ! Pendant que les singes de l’île font diversion, je tente de courir vers le buisson le plus

proche. Trop tard, j’expulse le repas de la veille en plein milieu de la plage. Seul Sarah accourt vers moi. Les autres sont toujours occupés avec les singes. Ça va un peu mieux. Après une bonne nuit de sommeil, nous sommes prêts à repartir pour le continent.


Pour la suite de notre périple, nous choisissons de suivre la ligne de train qui longe la côte et qui nous permets de faire le tour des stations balnéaires vietnamiennes. Premier arrêt après 8h de trajet à Dong Hoi, ville de 100 000 âmes, où le tourisme reste encore à ses prémices. Le soleil de retour, nous en profitons donc pour nous balader à vélo le long de la mer et profiter de la plage totalement vide. Apparemment le samedi c’est jour de mariage ici. Nous croisons plusieurs couples en plein shooting photo sur la plage. On vous promet, on ne s’est pas trop moqué.

Au milieu de ses escales farniente, un peu de culture avec la visite d’Hué et sa citadelle impériale. L’ancienne capitale impériale, de 1802 à 1945 et l’abdication de Bao Dai (pour ceux qui se souviennent de leur cours d’histoire), possède beaucoup de raffinement et de charme. Capitale du protectorat d’Annam, du temps de l’Indochine française, Hué combine à merveille les influences chinoises et françaises. Nous profitons d’une association d’étudiants pour en faire une visite guidée. Ville étudiante, ceux-ci sont très friands de rencontrer des Occidentaux, voire même de les loger dans leur chambre universitaire. Ceci dans l’optique de perfectionner leur anglais et de s’informer sur la culture occidentale.


Sur la route d’Hoi An, la principale ville touristique du pays, nous marquons une halte dans la ville côtière voisine de Danang. Ville en plein boom qui nous impressionne par son architecture moderne et ses immenses ponts flambants neufs. Danang profite pleinement du flux touristique pour se développer à grand pas.


Malheureusement pour nous nos quatre jours à Hoi An se font sous les averses. Nous ne pourrons donc pas pleinement profiter des paysages qu’offre la baie attenante. Nous pensons nous rattraper avec la vieille ville classée au patrimoine mondial de l’humanité par

l’UNESCO. Mais stupeur, il faut payer près de 10 EUR par personne pour pénétrer dans les rues les plus typiques de la vieille ville. Il n’y a pas écrit pigeons non plus. Nous refusons de payer. Nous nous contentons de circuler dès que le temps le permet dans la campagne environnante.

Mais là encore, pour rentrer dans un village spécialisé dans la poterie, il faut passer à la caisse. Idem, pour visiter des jardins en permaculture. Cette fois-ci nous y pénétrons en douce sans nous faire repérer. Pas de quoi casser trois pattes à un canard, ç’eut été du vol de payer. Au final, nous ressortons avec un sentiment plus que mitigé de cette ville qui reçoit près de 4 millions de touristes par an. Tout y est beaucoup plus cher que dans le reste du pays. Encore à cause des Chinois tout ça.


Notre arrêt à Quang Ngai, une ville un peu perdue sur notre chemin, en devient des plus réjouissant. Nous sommes les seuls touristes de la ville. Encore plus qu’ailleurs, les gens nous scrutent, enfin surtout Sarah. Sa taille et je pense surtout ses cheveux amusent les locaux. C’est presque un plaisir de rencontrer des commerçants qui ne comprennent pas un mot d’anglais. Même si la pluie est toujours présente, nous sommes réconciliés avec le Vietnam.


Privés de train dernière classe, lors de nos derniers déplacements, car tous les trains ne la possèdent, nous pouvons enfin la tester sur une longue distance ou plus précisément sur une longue durée. Bondées ces voitures se composent de bancs en bois 3 par 3 d’un côté et 2 par 2 de l’autre. Nous parvenons après plusieurs minutes de rangement avec les personnes déjà installées dans la rame à insérer nos sacs à dos dans les compartiments situés au-dessus de nos têtes. La règle de 25kg par voyageur n’est bien entendu pas respectée. Il faut dire que nous sommes sur la principale ligne de train qui relie Hanoï à Ho Chi Minh ville. Le trajet total dure 36 heures. Nous décidons de faire en deux jours les 16h qui nous séparent d’Ho Chi Minh ville. Les gens transportent ainsi des colis divers et variés (sacs de riz, légumes, objets du quotidien). J’espère pour eux qu’ils ne parcourent pas ce trajet toutes les semaines. Epuisés, certains jonchent le sol et parviennent à se glisser sous les bancs pour dormir. Ça sert d’être petit. Etant donné le confort sommaire de la rame, nous sommes les seuls touristes. Un contrôleur même ne comprend pas pourquoi nous avons fait ce choix-là. Les gens à bord ne parlent pas du tout anglais. Mais la plupart cherche à communiquer ou souhaitent prendre des photos avec nous. Ce trajet est une attraction en soi.


Entre ces deux journées de train nous marquons une halte à Nha Trang, sans doute la principale station balnéaire du pays. Ici les Russes sont chez eux. Les vitrines, les menus des restaurants, dans les supermarchés, tout est traduit en russe. Résultat, toute la partie côtière de la ville a perdu toute authenticité. Le tourisme de masse, quel drame, surtout quand ce sont les « nouveaux riches » qui le pratiquent.

Dernière journée de train, sur le même mode. 8h sur des banquettes en bois. Comme souvent la seconde fois c’est moins marrant. D’autant qu’au niveau place c’est plus compliqué. 1h avant chaque arrêt les gens s’entassent dans l’allée avec leurs nombreux colis, de

peur de louper l’arrêt. Un calvaire pour nos grandes jambes.


Ho Chi Minh ville ou encore appelé Saigon par les Vietnamiens, représente la dernière étape de notre périple. Capitale économique du pays, elle compte huit millions d’habitants qui se répartissent sur dix-neuf arrondissements et sur une surface grande comme vingt fois Paris. Elle dénote par rapport à sa rivale du nord Hanoï. Une sorte de Bangkok en construction. L’hyper centre fait la place belle à d’immenses tours toutes neuves. La construction de la première ligne de métro se termine également. Si certaines constructions de l’époque coloniale ont disparu pour faire place nette, les autres se sont transformées en lieu de consommation pour touristes. La poste conçue en partie par Gustave Eiffel, sert à acheter ses timbres pour les cartes postales et vend divers souvenirs. Les Halles ne sont plus qu’un bazar pour touristes, les locaux l’ont déserté. La chaleur étouffante rend sa visite plus éprouvante. Nous ne pouvions manquer la visite du Musée des vestiges, la principale attraction touristique de la ville. Les Vietnamiens ont fait le choix éditorial de pointer les crimes de guerre perpétrés par les Américains pendant ce très long conflit de près de 20 ans (1955-1975). Le côté guerre civile se trouve tout juste mentionné. Pour faire un parallèle avec la France, le Vietnam reste dans la phase propagande post seconde guerre mondiale : « ils n’y avaient que des résistants ».


Les détails administratifs réglés pour rentrer au Cambodge, nous disons adieu au Vietnam, un pays d’avenir.