Après quelques heures d’avion et de transit dans l’immense aéroport de Kuala Lumpur, nous atterrissons à 0h20 à l’aéroport Khomeini de Téhéran. Les derniers récits de voyageurs français sur internet nous ont définitivement rassuré quant à l’obtention sans encombre du visa à l’aéroport. La nouvelle procédure instaurée depuis deux ans marque la volonté du gouvernement d’ouvrir le pays au tourisme. Celle-ci n’est pas ouverte à tous les pays. Américains et plus proches alliés (Royaume-Uni et Canada) en sont évidemment exclus.


Première étape : présentation de l’attestation d’assurance. Tamponnée avec un grand sourire et sans aucune vérification. Deuxième étape : le guichet des visas. Le responsable, très affable et souriant, nous interroge : « Quelle nationalité ? Une réservation d’hôtel ? Ok passez à la « banque » et revenez me voir ». Même pas de formulaire à remplir ! Il n’y a plus qu’à attendre qu’ils appellent notre hôtel et le tour est joué. Nous patientons une heure, le temps de tester notre VPN, outil indispensable pour contourner la censure qui s’exerce sur de nombreux sites internet occidentaux. Curieusement pour aller sur L’Equipe.fr inutile, mais indispensable pour Le Monde.fr. Allez comprendre. Dernière étape : passer la douane. Le douanier, un peu zélé ou mal luné, veut absolument que Sarah avoue qu’elle est

d’origine afghane. Il va même jusqu’à l’emmener voir un second douanier pour qu’il lui confirme qu’elle ressemble bien à une afghane. Finalement il lâche l’affaire au bout de 5 minutes. Une heure de route en taxi et nous voilà arriver dans nos dortoirs respectifs. Il est 3h du matin !


C’est le début du printemps à Téhéran, sweat et vestes sont de rigueur le matin et dans la soirée. Une fraîcheur bienvenue après la fournaise cambodgienne. Il n’y a pas que la météo qui change radicalement. La population, les rues, l’architecture, les voitures tout est tellement différent de l’Asie du sud-est. Ça fait du bien. Nous déambulons dans la ville un peu au hasard toute la journée. Capitale économique et politique, Téhéran a connu un développement rapide et massif à partir des années 70 bénéficiant à plein des chocs pétroliers. La ville peuplée par près de neuf millions d’habitants, 3,5 millions en 1970, s’étend sur 25 km du nord au sud. Débarrassé de la présence américaine suite à la Révolution de 1979, l’Iran s’est mise à produire de tout. Ceci a fait sa richesse jusque dans les années 90. Mais comme les régimes socialistes en leur temps, l’Iran souffre de sa stratégie isolationniste. L’inflation galopante des dernières années, le retard technologique de la plupart de ses industries obligent la plupart de ses concitoyens à cumuler plusieurs emplois pour suivre la hausse du coût de la vie.


Le soir nous logeons chez Meisam, étudiant en fin d’études. A peine arrivés, il nous annonce que ce soir une petite fête s’organise chez lui. Son charmant deux pièces sert de QG à lui et ses amis. Il accueille aussi presque tous les soirs des couchsurfers. Malgré la fatigue, c’est une entrée en matière idéale pour jauger la jeunesse de Téhéran. La plupart en fin d’étude d’ingénierie parle parfaitement anglais. L’Iran forme une floppée d’ingénieurs chaque année. Mais il manque de débouchées, beaucoup travaillent dans des cafés en attendant de trouver un emploi. Malgré les interdits, ils tentent de vivre une jeunesse à l’occidentale. Tous sont optimistes et constatent d’énormes progrès depuis quelques années. Ils croient dans l’avenir de leur pays. La soirée se termine autour de 3h du matin ! Notre hôte dort dans sa chambre. Nous sommes six installés dans le salon directement sur les tapis et couverts par de chaudes couvertures en laine.


La seconde soirée chez Meisam est heureusement plus reposante. Charmant, il propose à ses deux autres couchsurfers allemands et ses amis présents de finir la soirée dans l’appartement de ses parents. Il nous laisse même son lit. A peu près requinqués nous reprenons la route le lendemain matin pour Kashan. Transport en bus VIP climatisé, siège large inclinable très confortable et le petit plus qui fait la différence, la boîte à goûter. Et tout ça pour le même prix qu’en Asie du sud-est ! Rapidement, les paysages montagneux et arides nous rappellent à quel point l’Iran souffre d’un manque d’eau. Nous croisons aussi tout au long de la route des Iraniens qui pique-niquent au bord de l’autoroute au pied de leur voiture. Le week-end venu (le jeudi et le vendredi en Iran), une majorité d’Iraniens partent pique-niquer voire camper un peu partout dans la nature ou même en ville. Un vrai mode de vie.


Kashan attire les touristes notamment pour sa vieille ville, un vrai labyrinthe, et ses villas traditionnelles construites par de riches marchands au 19ème siècle. Confisquées à la Révolution elles ont depuis été transformées en attraction touristique. Notre hôtel situé

en plein cœur de la vieille ville constitue un véritable havre de paix. Nous profitons de la cour intérieure de cette ancienne maison traditionnelle pour nous reposer et déguster du thé. Notre dortoir au sous-sol, très frais, est immense. Nous le partageons avec un couple de retraité espagnol. On dort à l’iranienne. Un fin matelas au sol, un oreiller, une polaire. Notre dos commence à apprécier ce type de lit.


Nous repartons dès le lendemain midi pour Ispahan où nous attend Milad notre hôte pour trois nuits. Il habite plus précisément Tiran une petite ville de l’agglomération. Ceci nous permet de tester le taxi partagé iranien. Notre présence dans cette ville interpelle les locaux. « Pourquoi ? » On ne sait pas toujours quoi répondre car dormir chez l’habitant est censé être interdit. Les Iraniens n’ont même pas le droit normalement de s’adresser aux touristes. Même si le couchsurfing, très répandue, doit sûrement être connu du régime et par conséquent toléré, les Iraniens qui le pratiquent demandent d’éviter d’en parler. Plusieurs personnes pendant ces allers-retours en taxi partagé entre Ispahan et Tiran nous proposeront de passer chez eux. L’accueil du voyageur semble ancré profondément dans la culture iranienne.


Dès le premier soir je suis convié à participer à la session hebdomadaire de foot en salle avec Milad et ses amis. Pas évident avec mes chaussures tout terrain mais bon d’après Sarah je n’ai pas trop été ridicule. Nous finissons la soirée dans leur « planque » située dans une vieille ferme quasi abandonnée. Ils s’y rassemblent régulièrement pour jouer de la musique, danser et boire du vin maison. Et oui car comme on dit en Iran, si le Shah nous a appris à aimer le vin, Khomeini nous a appris à le fabriquer.


Ispahan regorge de trésors architecturaux. Son square immense impressionne. Un palais et trois mosquées l’entourent. Son bazar en fait le tour. C’est également une des rares villes traversées par un fleuve, le Zayandeh-Roud, deux magnifiques ponts le surplombent. Les jardins et les parcs nous permettent de pique-niquer comme de vrais Iraniens.


Nous poursuivons notre route vers le sud et Chiraz. Nous logeons chez Amin, ou plutôt chez sa sœur et son beau-frère. C’est sa soirée d’anniversaire, il souhaite qu’on lui prépare un repas français. Après 8h de trajet, il nous prend un peu de court. Après quelques instants de réflexion nous partons sur des escalopes de veau à la crème accompagnées de champignons. On ne sait pas ce que ça donnera, la moutarde qu’on a trouvé semble n’en avoir que le nom. Finalement sa sœur avait déjà préparé le dîner, on garde les escalopes pour le lendemain.


Chiraz nous plaît énormément. Plus animée, plus colorée, parfumée en ce début de printemps par les fleurs d’oranger, Chiraz nous enchante. Et ce n’est pas notre hôte Amin, très fier et dithyrambique à propos de sa ville, qui nous dira le contraire.


Nous consacrons une journée à la visite des sites antiques de la région de Chiraz. Persepolis fondée 2 500 ans plus tôt par Darius Ier, regorge de bas-reliefs quasi intacts qui retracent l’histoire de ce lieu sacré pour les Zoroastriens. Pasargad, première capitale de l’empire perse, en revanche est loin de valoir le détour. Il n’y reste quasiment plus rien.


Le lendemain, Amin nous propose de nous faire découvrir Ghalat, village surnommé la petite Amsterdam (pas besoin de faire un dessin). Adepte du stop, il nous propose d’essayer. Pas évident à première vue de trouver un véhicule pour quatre personnes. Mais au

bout de 15 minutes seulement, Nawfel, étudiant de 23 ans, accepte de nous y conduire. Il passera finalement presque toute la journée avec nous. Après 30 km nous arrivons. Ghalat offre un cadre idyllique : verdure, montagne, cours d’eau qui ruisselle sous les arbres. Idéal pour pique-niquer au frais. Nous nous éloignons un peu dans les montagnes pour trouver un coin plus tranquille car forcément nous ne sommes pas tout seuls. Amin et Moustapha son beau-frère prépare le feu, on patiente. Les brochettes de poulet sont excellentes. Une discussion à bâtons rompus s’engage. Si nos précédents hôtes témoignaient une certaine frustration par rapport aux interdits, Amin s’en accommode parfaitement. Il défend même le régime. Selon lui, celui-ci apporte stabilité et sécurité dans une région où le chaos est la norme. Il n’a pas tort. Mais Amin est un artiste. Il expose et vend ses créations aussi bien à Milan qu’à New-York. Il voyage régulièrement pour ses expositions. D’où sûrement une moins grande frustration que d’autres. Nawfel lui est en colère, le régime lui a volé sa jeunesse.


Nous continuons notre route en stop pour rejoindre d’autres villages. Nous finissons par rencontrer au bout d’un chemin une famille qui accepte de nous ramener sur la route principale. Au moment de les quitter Amin et moi-même serrons la main du chef de famille, Sarah en fait de même. L’homme, surpris, tend la main par réflexe et la sert. Sa femme installée à l’avant du pick-up le fustige du regard. Pauvre homme, il va passer une mauvaise soirée. Nous trouverons deux autres chauffeurs pour rejoindre Chiraz. Faire du stop est assez facile même si la pratique reste peu répandue et que le pouce tendu vers le haut à la même signification pour les Iraniens que le majeur tendu chez nous. Notre dernier chauffeur, très amusé, nous le fait remarquer : « Un doigt ça suffit, trois ça fait beaucoup ! »


Ces dix premiers jours très rythmé nous ont littéralement épuisé. Nous remontons vers Yazd pour une petite pause de trois jours dans une charmante auberge de jeunesse. Tenu par des jeunes iraniens, l’ambiance y est très détendue. « Vous êtes à la maison ici, vous pouvez retirer le foulard ». Yazd, ville moyenne possède une vieille ville qui ressemble beaucoup à Kashan. Elle se démarque également par ses monuments zoroastriens.

Reposés nous retournons sur Kashan. Nous testons le train. Il n’y a pas photo avec ce qu’on avait connu. Même mieux que la SNCF grâce au petit goûter. Nous retournons dans le même hôtel.


Le lendemain nous partons dans l’après-midi direction le désert de Maranjab. L’excursion débute par la visite d’une ville souterraine perdue depuis plus de 200 ans et retrouvé par hasard par un habitant il y a dix ans. Soi-disant la plus grande au monde avec ses 4 000 m² de galeries. On poursuit avec un château de « boue » abandonné (Mudcastle), un lieu saint, un caravansérail, blablabla, et enfin les choses sérieuses, le coucher de soleil sur les dunes, le dîner et la nuit en tente aux pieds des dunes.


Fort de notre expérience réussie une semaine auparavant nous tentons notre chance en solo pour rejoindre en auto-stop le village d’Abyaneh 80km plus au sud. L’un des plus vieux villages d’Iran, niché dans les montagnes et réputé pour la couleur ocre de ses maisons. Nous partons à pied jusqu’à la sortie de Kashan. Pancarte et pouces tendus. Très vite un taxi s’arrête. Il ne comprend pas qu’on ne veut pas de taxi. Un 2ème puis un 3ème s’arrête à sa suite. Ils ne lâchent pas l’affaire. « Vous voulez aller à Abyaneh, montez, je suis taxi ». L’un d’eux fini par comprendre. Ils éclatent de rire. L’auto-stop semble étranger aux plus de 40 ans. Finalement dans cette cacophonie, un monsieur avec son véhicule de chantier nous propose de monter. Il nous dépose à l’entrée de l’autoroute. Peu de voiture à l’horizon, mais au bout de seulement 5 minutes on aperçoit une voiture en marche arrière sur la bande d’arrêt d’urgence. Un autre Meisam de Téhéran, 34 ans. Petit-fils d’un ancien ministre du gouvernement du Shah exilé à Paris. Il roule vers le golfe persique pour affaires. C’est la première fois qu’il prend des autostoppeurs. Il trouve ça génial comme façon de voyager mais en même temps dangereux. Sans qu’on réclame, il nous propose de faire un léger détour pour nous déposer dans le village. Il insiste même pour payer l’entrée au village. Sur la route se succèdent des décors montagneux magnifiques. Puis nous pénétrons dans une zone ultra protégée : les installations nucléaires. Photos interdites.


Visite du village, pique-nique, nous sommes prêts à repartir. Il n’y a pas foule. Le retour s’annonce plus compliqué. Nous commençons à pied pour quitter le village. La seconde voiture sera la bonne. Un couple de retraité et leur belle-fille nous propose de monter. Shiva, 34 ans également, avocate en droit de la famille, vient de quitter son travail. Légèrement hystérique elle est très heureuse de nous rencontrer, enfin surtout Sarah. Au bout de 10 minutes elle lui déclare qu’elle trouve son visage très attirant. « Lucky Alex ». Merci je le savais déjà. Ils roulent vers le sud. Le beau-père ne préfère pas nous laisser au bord de l’autoroute. Il préfère nous déposer dans la prochaine ville et nous faire prendre un taxi. On préfère ne pas refuser leur proposition. Nous montons dans un taxi partagé pour finir la

route. Missions presque accomplie.


Nous reprenons la route vers Téhéran pour boucler ces trois semaines très riches en rencontres. Siavash, originaire de l’Azerbaïdjan iranien, nous accueille pour ces deux dernières nuits. Fan de foot, il nous propose de suivre le Classico Real Madrid – FC Barcelone. Sarah saute de joie ! Trois mois qu’elle est privée de match de foot. C’est intolérable. Messi marque le but de la victoire à l’ultime second, Siavash est ravi. Trois Français, deux sœurs et leur petit frère, doivent nous rejoindre dans la nuit. Cinq Français d’un coup, Siavash est servi pour ses premiers couchsurfers français. Surtout que rapidement les discussions basculent en français. Ça fait un bien fou.


Notre séjour s’achève. Quelques questions se posent. Régulièrement accostés dans la rue - « d’où venez-vous, pourquoi venez-vous en Iran, vous voyagez seuls, quelles villes, quels hôtels… ? » - qu’on en deviendrait presque parano à force. Étions-nous surveillés ?