Après deux semaines en transit en France nous poursuivons notre série des pays qui vouent un culte bien particulier aux USA. 20 ans plus tôt que l’Iran, Cuba a fait sa révolution pour le même objectif : se débarrasser d’Américains devenus trop influents sur leur sol. En 2015 comme l’Iran, Cuba a signé des accords d’ouverture avec les USA. Et comme l’Iran le gouvernement cubain a fait le choix du tourisme pour se maintenir au pouvoir. La comparaison s’arrête ici.


Après 10h30 d’un long vol sur la compagnie charter Condor (les films y sont payants), nous atterrissons enfin à Cuba. Nous retrouvons le beau temps et la chaleur. Passage à la douane express - on ne manque pas de fonctionnaires ici - un peu de change, 25 minutes de taxi et arrivée dans notre « casa particular ». En payant 35 EUR par mois par chambre plus 10% du chiffre d’affaires au gouvernement, les particuliers peuvent transformer leur logement en maison d’hôtes. Un très bon moyen pour certains d’arrondir leur fin de mois voire de gagner beaucoup d’argent. Une nuitée coûte en moyenne 25 EUR soit plus que le salaire moyen mensuel cubain. Dans certaines villes touristiques on frôle les 100% de « casas particulares ».

Clara notre jeune hôte étudie les langues. Ouf ! On peut communiquer en Anglais. L’Espagnol de Sarah est légèrement rouillé et il se limite aux formules de politesse pour ma part. Le décalage horaire se fait largement ressentir. Nous sommes épuisés pour ne pas dire autre chose.


Levés à 6h30, nous sortons tâter le terrain. Les belles vieilles américaines sont bien présentes, les vieilles moches Peugeot et Lada aussi. Pour une ville de plus de 2 millions d’habitants le peu de circulation nous frappe, des taxis et des bus seulement. Petit tour sur la place de la Révolution située près de notre logement. Froide, immense, grise, soviétique, nous passons rapidement. Quelque peu affamés, notre premier réflexe est de chercher des bananes. Notre partenaire depuis le début de notre périple. Bon marchés, nourrissantes et pleines de vitamines : Mangez des bananes ! Le vendeur nous annonce 1 peso par banane. Or, deux monnaies coexistent à Cuba. La monnaie nationale, le Peso Cubain (CUP) et la monnaie internationale, le Peso Cubain Convertible (CUC). 1 CUC = 1 $ = 25 CUP. On pense qu’il parle en CUC. On lui tend un billet de 10 CUC. Il n’a pas la monnaie. On lui montre que nous n’avons autrement que des pièces de 10 centimes de CUC. Il en prend une pour nos deux bananes. Une banane ne coûte qu'1 CUP. Nous sommes sauvés !

Nous prévoyons de prendre la route dès le lendemain. Notre objectif : s’assurer qu’il n’existe pas de moyen de transport meilleur marché que la compagnie Viazul, créée spécialement pour les touristes, et dont les prix dépassent ceux de nos Ouibus français. Nous tentons d’abord notre chance au guichet de la compagnie de car nationale. Réponse : « Viazul ». Nous essayons aussi le train, même réponse. Les transports en commun largement financés par l’Etat, coûtent près de 20 fois moins chers que Viazul. Le régime castriste ne peut donc tolérer que des touristes friqués ne les empruntent. Encore heureux que nous puissions aller dans les restaurants des Cubains et chez les petits marchands.


Nous remarquons lors de cette première journée qu’être cubain nécessite énormément de patience. File d’attente aux arrêts de bus et de taxis collectifs, à l’entrée des banques, pour acheter les cartes de téléphone et d’Internet, ... Par exemple, la procédure d’achat de billets de train ou de car ressemble à un des douze travaux dans Astérix et Obélix. Passer par un premier guichet pour préciser les détails de sa réservation. On vous fournit un numéro sur un bout de papier. Passage par un deuxième guichet pour acheter le billet. Puis ultime étape, passer par un guichet de confirmation. Tout ça dans un bâtiment non climatisé et surpeuplé. Premier voyage en car sur la compagnie Viazul. Nous le tentons sans réservation, ce qui d’après les forums de touristes est déconseillé. Nous souhaitons nous rendre à Cienfuegos, située à un peu plus de 200 km au sud-est de La Havane. Coup de chance le car part dans 45 minutes et il n'est pas complet. En revanche pas question d'arriver à la dernière minute. Les bagages sont pesés 30 minutes avant le départ. Le car est sur-climatisé mais plutôt confortable, certes pas au niveau des cars iraniens, mais on s'en contentera grandement. Sur la route nous croisons d’anciens camions à bétails transformés en méga taxi. Se déplacer à Cuba apparaît comme une véritable mission pour les locaux. Partout sur la route les Cubains pratiquent auto-stop. Mais ce n’est pas le pouce qu’ils tendent ce sont des billets.


Pas de réservation non plus de « casa particular ». Dès notre sortie du bus chauffeurs de taxi et loueurs de chambres nous tombent dessus. Le premier nous propose une chambre climatisée avec terrasse et salle de bain, frigo, la prestation habituelle apparemment à Cuba. « Cuanto cuesta ? », demande Sarah. « 20 CUC », nous répond-il. « 15 CUC ?». « OK, mais il y a une 2ème chambre à côté, surtout ne le dites pas si vous les croisez ». L'intermédiaire passe immédiatement la main à la propriétaire. Bien qu'il se soit présenté comme le propriétaire. Une pratique courante. La jeune propriétaire nous conduit à pied à son appartement. Elle s'est lancée il y a 3 mois et d’après Usman son mari pakistanais ça cartonne. Immigré à Cuba depuis 9 ans comme étudiant en médecine, Usman se plaît à Cuba. En même temps, Pakistan ou Cuba, le choix semble vite fait. A Cuba, les études universitaires sont gratuites même pour les étudiants étrangers, enfin ceux des pays amis j’imagine. Dans sa promotion ils étaient 200 Pakistanais, ils ne sont plus que 6 aujourd'hui. Usman n'avait pas spécialement prévu de rester mais l'amour, un mariage et un enfant...

Cienfuegos est la seule ville de l'île fondée par les Français. L'architecture de la ville ressemble en effet aux villes des Antilles françaises. Ville côtière, les plages sont soient des décharges publiques ou de ridicules bancs de sable où s'entassent les familles cubaines. On patientera encore un peu pour la plage.


Nous parcourrons la ville tranquillement. On se pose sur un banc à l’ombre. Je m’absente cinq minutes pour prendre, pour une fois, des photos de la place Jose Marti. En revenant, que vois-je ? Un jeune homme assis à ma place en train de tchatcher avec Sarah. Mon arrivée ne le perturbe pas vraiment. Il travaille à côté pour le théâtre de la ville et soi-disant voulait exercer son anglais. Voyez-vous ça. Nous comprenons surtout que contrairement à l’Iran ici on ne parle pas de politique. « Sinon tu disparais dès le lendemain ».


Nous poursuivons le lendemain, de peur de disparaître, vers Trinidad, petite ville charmante mais très touristique. C’est dimanche. Difficile de trouver de petites cafétérias qui vendent des sandwiches ou des plats bon marché. Le choix n'est pas la vertu première à Cuba. Dans les points de vente officiels (des sortes de préfabriqués métalliques) il y a surtout de la boisson (rhum, bière, soda et eau) et quelques conserves alimentaires. Sinon ils sont désespérément vides. Nous finirons par trouver au bout de la ville des « panes con tortilla » et quelques fruits (des bananes !) et légumes.


Journée plage aujourd’hui ! Il pleut ! L’averse matinale terminée nous louons tout de même des VTT pour y accéder. Nous l’avions promis à notre hébergeuse qui guettait pour nous la fin de l’averse. Trop gentille! 7km pour arriver à la première plage, La Bocca. Très mignonne mais très petite. 10km de plus pour atteindre la plage principale. La route est parsemée de crabes de toutes les tailles. Le panorama est sublime. Une heure de pause sur la plage, le bord de mer est jonché d’algues et le temps se couvre de nouveau. Bingo, la pluie revient sur le chemin du retour. Nous sommes trempés.


Cap sur la presqu’île de Varadero ! Pas besoin de bicyclette ou de taxi cette fois-ci, la plage s’étend sur toute la ville et ses 13km de long. Nous trouvons un logement à 60 mètres de la plage, juste à traverser la route. Plage somptueuse de sable fin, mer transparente à la bonne température. Enfin les Caraïbes ! 


Nous quittons ce décor paradisiaque pour la région de Piñar del Rio et la petite ville de Viñales. Nous logeons chez Rosabel, dentiste de 30 ans. C’est une pionnière en matière de « casa particular ». Cinq années qu’elle s’est lancée. Depuis 3 mois elle passe même par Airbnb. « Vous connaissez ? ». Internet est une denrée rare à Cuba. Il faut acheter des cartes et le réseau wifi n'est généralement disponible que sur les places centrales. Rosabel laisse donc la gestion à son frère et à sa belle-sœur qui vivent à Strasbourg. Juste le temps de poser nos affaires elle nous liste tout ce qu’on peut faire dans la région. Ici encore plus qu’ailleurs touristes = dollars. On opte pour une balade à cheval dans le parc naturel avec le « meilleur guide ».


9h, notre guide patiente sur la terrasse, il se balance sur l’un des rocking chair métallique. Chapeau et ceinture de cow-boy et… bottes en plastique blanches. Le regard noir, il se prénomme Miguel. On descend. Son cheval… Son VTT nous attend au pied de l’immeuble. Nous marchons quelques minutes pour récupérer nos montures. J’y pense on a oublié de lui demander leurs noms. Nous les nommerons Fidel et le Ché (pas très original sans doute). C’est une première pour Sarah, un lointain souvenir pour moi. Fiers sur nos chevaux nous rejoignons d’autres gringos à l’entrée d’une exploitation de tabac. Le parc national de Viñales classé à l’UNESCO abrite en son sein les meilleures plantations de tabac du pays et donc par conséquent du monde. Le responsable de la visite vêtu d’un ensemble marron clair tel un dictateur, nous prévient : « Ici nous fabriquons les Monte Cristo 4 couches, ceux qu’aimaient à fumer le Ché. Et nous allons procéder à une dégustation ». La classe ! Il trempe chaque cigare dans le miel, comme le faisait le Ché, avant de les allumer. Pendant que tous nous profitons de ces petites merveilles, il fabrique devant nos yeux ébahis un cigare Monte Cristo 4 en moins d’une minute. Il prend quatre feuilles de tabac, en retire la partie centrale qui contient la nicotine et les assemble une à une. Et voilà, plus que quelques jours de séchage et le tour est joué. Ces cigares seront ensuite vendus entre 20 et 30 euros pièce. Un bon business pour l’Etat cubain. Nous repartons, avec le reste de nos cigares, nous les finirons plus tard dans la journée. Mon cheval le Che possède une âme de leader. A chaque départ il part au galop pour mener l’équipée. Et Fidel suit gentiment, il patiente, il attend son tour. Une heure de douce balade sur des chemins de terre étroits et arpentés avant de nous arrêter devant un lac naturel. Nous poursuivons vers une plantation de café. Dans la région on ne fabrique que de l’arabica. Ils fabriquent également du miel avec les fleurs des caféiers et une spécialité locale le rhum de petite goyave. Selon les productions entre 60 à 70% sont redistribuées à l’Etat. Nous finissons notre escapade dans le parc sous une chaleur moite, les fesses un peu endolories certes mais très satisfaits de notre journée.


Deuxième jour dans le parc national, cette fois-ci à pied. C’est bien aussi.


Nous retournons dans la capitale pour notre dernière semaine. La chaleur a grimpé en deux semaines. Nous prenons le temps d’arpenter chaque quartier. Le temps s’est arrêté depuis l’instauration du socialisme et semble juste se remettre en route avec le développement du tourisme de masse. Mais les retards économiques sont immenses, au-delà de la vieille ville remise à neuf, la plupart des quartiers sont insalubres. L’eau manque dans les maisons. Tout semble archaïque. Certes les systèmes d’éducation et de santé, gratuits, sont performants. Cuba donne également l’impression d’une mixité ethnique réussie, pourtant après ces trois semaines je ressors conforté dans ma préférence pour l’économie de marché.