Le Royaume du Cambodge marque la dernière étape de notre visite de l’Asie du sud-est. Pays de 15 millions d’habitants – les Khmers rouges n’ont pas eu le temps d’exterminer tout le monde – bien moins riche que ses deux grands voisins, le Cambodge se relève petit à petit de cette période troublée de son histoire. Et bien entendu, le Parti du peuple cambodgien, anciennement communiste, compte sur le tourisme pour redresser le pays.


Le cérémonial du passage de frontière terrestre désormais bien connu constitue une formalité. Nous débarquons directement dans la capitale Phnom Penh, un premier arrêt qui en appellera d’autres. En effet, tout le réseau routier a été construit en étoile autour de la capitale. Le lendemain nous prenons la route pour Siem Reap la ville-dortoir des touristes pour visiter les temples d’Angkor. Nous compter y rester une à deux semaines. Nous avons trouvé, enfin Sarah, un volontariat dans une auberge de jeunesse nommée Oasis Capsules. En contact depuis plusieurs semaines avec Steven son directeur, nous devons l’aider à améliorer la partie bar-restaurant.

Malgré son prénom il est bien cambodgien. Il dirige un autre hôtel en ville et s’occupe d’une fondation venant en aide aux enfants défavorisés. Il a racheté celui-ci quelques mois auparavant pour en confier la gestion à sa sœur et sa femme (qui doit accoucher dans 5 jours). Autant dire qu’il n’est pas souvent sur place. Nous arrivons en début de soirée. Pas de Steven à l’horizon, on ne sait pas s’il passera le soir nous apprend on à la réception. On nous conduit à notre dortoir huit personnes. Trois y sont déjà installées à notre arrivée. Tant pis pour l’intimité. C’est pour la bonne cause.


Quartier libre ce soir ! Nous en profitons pour découvrir Siem Reap. Angkor et ses temples accueillent près de quatre millions de visiteurs par an. Autant dire que Siem Reap ne vit que pour le tourisme. Hôtels de luxe, auberges de jeunesse, guesthouse, supermarchés (on en avait jamais tant vu jusqu’ici), spas, salons de massage, chaînes de restauration célèbres et bars ont poussé un peu partout dans la ville depuis vingt ans. Un petit parfum de Kao San Road flotte ici. Une rue a même été nommée Pub Street. Rien finalement ne rappelle les temples de l’ancienne capitale khmer. Autant dire que l’atmosphère de la ville ne nous plaît pas particulièrement. Nous finissons la soirée au Skylounge, le petit nom du bar-restaurant d’Oasis Capsules. Nous observons. Un espace agréable de bonne taille doté de baies vitrées qui offrent une vue sympa sur la ville. Le gros point fort de la salle, sa clim, car au mois de mars c’est 35°C à l’ombre tous les jours. Idéal donc pour garder les clients au frais après leur matinée d’excursion dans les temples. Seul bémol, la moquette au sol, sale, car ici l’aspirateur semble être un objet rare. Une seule personne s’occupe de tenir le bar et de cuisiner. Heureusement pour elle les commandes n’affluent pas. Steven nous indique par email qu’on se verra le lendemain dans la matinée.

9h, levés, et prêts à en découdre nous descendons à la réception. Toujours pas de Steven, nous sortons prendre un café. 11h, mais où est Steven ? Nous montons au Skylounge où il n’y a toujours pas foule. 12h, Steven apparaît. On va enfin savoir ! Résultat, il attend vraiment beaucoup de nous, car nous sommes Français et donc nécessairement compétents d’après lui. Première mission : réorganiser sa cuisine et la mettre aux standards d’hygiène occidentaux. Une mauvaise critique sur Trip Advisor est tombée le matin même. Un client est entré par erreur dans la cuisine et a constaté son état sale et bordélique. Steven est très connecté. Oasis Capsules affiche une moyenne de 9,5/10 sur Booking. Entre nous, ça nous parait un peu galvaudé. Ensuite, dans une semaine, des travaux d’agrandissement du Skylounge doivent débuter. Il voit les choses en grand. Il veut à tout prix faire de l’argent pour sa fondation qui vient en aide aux enfants.


Deuxième mission : l’aider pour la déco, l’organisation de la salle et trouver comment faire le lien entre le restaurant et sa fondation. Enfin troisième mission : nous devons épauler, dans l’idéal à tour de rôle, les deux personnes en poste qui se relaient entre 6h et 22h. Nous sommes un peu assommés après cette heure d’échanges. Nous négocions nos horaires : 6h-9h et 15h-21h. Nous enfilons nos polos de l’hôtel et commençons à plancher sur tous ces chantiers. On dessine des plans, on écrit un mémo sur l’hygiène en cuisine.

On se creuse vraiment la tête. Nous passons toute l’après-midi à cogiter dessus. Pendant ce temps on ne peut pas dire qu’on ait vraiment besoin de nous au service ou à la cuisine.

Lendemain matin, réveil 5h30, c’est moi qui m’y colle. 6h, je monte au Skylounge. Des clients probablement arrivés très tôt et dans l’attente de leur chambre dorment. Pas de trace du serveur. Je descends illico à la réception. Ils n’ont pas l’air inquiets, il ne vas pas tarder. Problème, la cuisine est un tel bordel, que je ne trouve pas les marchandises. De plus on ne nous a pas montré comment fonctionnait la très belle machine à café italienne. Je ne suis même pas certain de réussir à servir des cafés et encore moins des capuccinos. 7h, toujours personne. Une première cliente descendue à la réception réclame un petit déjeuner. Je préviens la réceptionniste que je ne suis pas en mesure de le préparer. Je ne trouve même pas les œufs. La réceptionniste s’excuse et envoie la cliente à l’extérieur. Mauvaise critique en perspective. Je réveille Sarah en catastrophe. Elle est bien plus douée que moi pour improviser en cuisine. Nous parvenons à servir à un jeune couple de Français, très compréhensifs, des pancakes à l’ananas et une salade de fruit. 9h, on nous apprend que l’employé ne viendra pas. Il est souffrant. Steven débarque un peu plus tard. Nous lui faisons un état des lieux sans concessions. Certes, sa cuisine n’est pas aux normes, sa carte trop exhaustive, la moquette sale. Mais le problème c’est que sur ses 40-60 clients, nous n’en avons aperçu qu’une quinzaine au Skylounge et seule la moitié a commandé quelque chose. C’est une auberge de jeunesse ! Des gens qui payent 5 USD une nuit en dortoir, ne paye pas de petit déjeuner à 3 USD ou de plat entre 2 et 5 USD. Ils vont à l’extérieur acheter des fruits, des bouteilles d’eau moins chères et profitent des « happy hours » le soir dans les bars.

Nous lui déconseillons donc d’agrandir et le prévenons que nous finissons dans la journée notre mémo et le plan de la cuisine et ensuite basta. Restés plusieurs heures par jour pour servir trois assiettes ne nous intéressent pas. Et penser à un tout nouveau concept sans moyen ni autorité sur les employés en place nous semble impossible. Sonné, il en prend acte. Nous ne le reverrons pas.


Le lendemain, c’est parti pour la visite d’Angkor. Partis initialement pour prendre le pass 3 jours, les tarifs ayant doublé un mois auparavant nous prenons finalement le pass 1 journée. Dès 6h du matin sur nos vélos, nous parcourrons près de 40km dans la journée sous une chaleur torride. Nous nous arrêtons devant les principaux temples. Très jolis, imposants, mythiques tout ce que vous voudrez, mais au bout du cinquième temple, bien qu’il soit tous très différents, difficile de continuer à s’émerveiller.


La chaleur dicte nos plans. Nous partons vers la côte et la seule véritable station balnéaire du pays, Sihanoukville. Nous dénichons sur Internet un petit hôtel, certes un peu éloigné des plages (3 km) mais tout confort (chambre climatisée) et surtout doté d’une cuisine accessible aux clients. Sarah est aux anges ! Cet hôtel appartient à une école d’hôtellerie de la ville et sert de galop d’essai à ses

jeunes étudiants. Un couple d’anglais très charmant les encadre. Nous y séjournerons douze jours. Marché, cuisine, sieste, plage, vélos, de vraies vacances en quelque sorte. Une petite pause bienvenue après deux mois de voyage. Sur la plage, les jeunes enfants sont à l’affût pour tenter de vendre aux touristes des bracelets de perles et tissus multicolores. Leurs techniques de vente sont extrêmement rôdées. Ils maitrisent leur affaire dans plusieurs langues. Ils reviennent à la charge régulièrement. « Open your heart, open your wallet ». « Make Cambodia happy today ». Sarah finit par craquer. Difficile de résister.


Nous poursuivons sur la côte dans la ville de Kep. Une minuscule cité dont le centre-ville se résume à une place centrale en demi-cercle et une plage. Pour une fois, les Cambodgiens sont les plus nombreux sur la plage. Ils louent des emplacements face à la plage et

dégustent toute la journée la spécialité du coin, le célèbre crabe bleu fraîchement préparé 2 km plus loin au marché. Autre particularité de la région, le poivre de Kampot, sorte de caviar local vendu entre 50 et 70 USD le kilo. Ce poivre pour obtenir l’appellation doit respecter un cahier des charges très précis. Nous visitons une exploitation qui travaille en bio. Une volontaire française nous fait la visite. Cueillette, tri, visites, voilà un volontariat qui nous aurait bien plu. Dommage.  


Le retour vers Phnom Penh est cauchemardesque. Nous attendons notre bus pour 14h, pour 3-4h de trajet a priori. 14h passé de quelques minutes, le vendeur de billet nous informe aimablement qu’un ennui mécanique va retarder un peu notre bus (une roue à

changer). Déjà une heure de retard, on lui demande de rappeler le chauffeur. Second ennui mécanique, le bus ne pourra finalement pas venir. Le vendeur très calme et souriant nous promet de nous trouver un mini-van dans les plus brefs délais.

15h30, nous grimpons dans un van. Après 30 minutes de route Sarah et moi recevons un sms pour nous communiquer les tarifs des communications au Vietnam. Petit coup d’œil sur Google Maps, nous sommes rendus à la frontière vietnamienne. Un vent de panique s’empare de nous. Sarah interroge sa voisine, elle va à Ho Chi Minh ville. What’s the fuck ! Le chauffeur s’arrête, on descend, on le questionne. « Phnom Penh ? » « Yes », ânonne-t-il. On dépose finalement juste ceux qui poursuivent vers le Vietnam. Ils semblent surpris de devoir changer de véhicule. Ouf, nous repartons dans la bonne direction. 20 minutes après, nouvel arrêt sur le bord de la voie. Pas d’info du chauffeur qui ne parle pas anglais. Apparemment on attend quelque chose, d’autres personnes, un autre véhicule ? Une heure passe. Un autre mini-van finit par s’arrêter à notre hauteur. Changement de véhicule ! Un arrêt pour dîner, des bouchons, le chauffeur qui ne veut pas nous arrêter où nous le souhaitons. Nous arrivons finalement à notre hôtel à 22h. Sale journée !


Nous repartons dès le lendemain vers l’est et la ville de Kompong Cham. Le tourisme en est à ses balbutiements. La ville située au bord du Mékong, est surtout réputée pour son pont en bambou, le plus long au monde (1 km). Son remplacement dans l’année par un pont en béton a été acté. Nous effectuons la traversée à vélo. Ce pont est vraiment fait de bric et de broc. Mais ça tient, même des 4x4 l’empruntent.


Retour dans la capitale pour enfin la visiter. Une ville qui renaît de ses cendres après avoir été particulièrement traumatisée de 1975 à 1979 par le régime Khmer rouge. Plus petite, pour l’instant, que ses consœurs asiatiques elle se développe et s’agrandit de toute part. Les immeubles modernes sortent de terre, les 4x4 pullulent. La circulation est catastrophique. Trois premières lignes de bus publics ont été lancées en 2014, le quartier royal et administratif  paraît fraîchement rénové. Pour le reste, c’est plutôt sale mais une ambiance agréable de village y règne.


De la lumière, jetons un coup d’œil. Le samedi soir autour du quartier olympique les jeunes dansent un peu partout sur des rythmes latinos. Pendant ce temps Phnom Penh affronte Angkor en match de championnat de foot. Cela n’attire pas les foules, pas plus d’une

centaine de spectateurs. Derrière une grille au niveau du poteau de corner nous assistons à l’égalisation des locaux, 3-3. A côté, une salle omnisports couverte accueille un gala de charité. Pop cambodgienne et musique traditionnelle embrasent la salle. On a bien fait de passer.


Nous attendons l’avant-dernier jour pour visiter S-21, un des 300 lycées transformés en camps de sécurité par les Khmers rouges. Comprenez, en camps de torture. Le régime Khmer rouge, légèrement parano sur les bords, fantasme des espions partout dans la

population. Entre 12 000 et 20 000 personnes entreront dans S-21. Moins d’une vingtaine en sortira vivante. Les personnes incarcérées, jugées coupables sans procès, sont torturées pour obtenir leurs aveux.

Les séances de torture, variées et pleine d’imagination, durent tant que les aveux ne satisfont pas le célèbre Douch, condamné à perpétuité en 2012.


Pol Pot, à la tête de ce régime farfelu nommé « Angkar » (organisation en langue khmer), et ses acolytes développent une idéologie simpliste. Il faut revenir à l’homme traditionnel. Pour parvenir à leur utopie égalitaire ils éliminent les personnes diplômées ou qualifiées. Dès lors, toute une génération de médecins, d’enseignants, d’avocats, d’artistes disparaît. Les étrangers, les religieux et

la minorité musulmane cham subissent le même sort. Dans le même temps tous les habitants sont réduits en esclavage dans les champs. Ainsi, en 3 ans, 8 mois et 20 jours, Pol Pot et ses hommes amputent le Cambodge d’au moins 20% de sa population, soit plus de 2 millions de personnes mortes affamées, malades ou assassinées. Beau bilan !


Nos aventures en Asie du sud-est s’achèvent donc sur cette « belle note ». Prochaine escale, l’Iran. On a hâte !